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NANTES 1693 : QUAND LA MONNAIE REFRAPPE AU BOUFFAY

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Plan de la Monnaie de Nantes au tout début du XVIIIe siècle réalisé par Henri Vié1

Le 7 juillet 1693, Louis XIV (1643-1715) décide de faire rouvrir la Monnaie de Nantes2 fermée sur son ordre en 1662 et laissée à l’abandon depuis.


Demi-écu au buste juvénile, l’une des dernières pièces frappées
par la Monnaie de Nantes en 1662 avant sa fermeture

Un premier constat révèle un état désastreux, tant du bâtiment lui-même que du matériel entreposé. Un état des lieux plus précis s’imposait.
Celui-ci est entrepris à partir du 1er septembre sous la conduite de Bizeul, procureur du roi, accompagné de Mathurin Grolleau, maître architecte, Nicolas Douillard, charpentier, et Jean Bon, maître serrurier. Trois jours de visite leur seront nécessaires.
Leur rapport est édifiant : les maçonneries sont à reprendre dans le bureau de change, des jambages, des portes, des cheminées, des linçoirs sont rompus. Les cheminées doivent être rehaussées hors toiture, le foyer des fourneaux est à refaire. Plusieurs poutres porteuses de planchers sont cassées, notamment à l’étage supérieur, six d’entre elles sont étayées pour éviter l’effondrement. Les menuiseries sont à reprendre, les grilles sur rue sont rouillées, elles ne tiennent plus et sont à remplacer. On peut parler de désastre.

Et ce n’est guère mieux pour le matériel : les cinq fourneaux, les soufflets, les creusets et cisoirs sont hors service ainsi que la chaudière de cuivre et la presse de l’or. L’arbre du moulin est jugé « encore utilisable », mais le grand fouet du balancier doit être changé…
Des plans sont rapidement établis. Pour augmenter la surface de l’atelier proprement dit, on prévoit de diminuer la chambre du juge-garde3 qui habitait les lieux (on se demande bien dans quelles conditions !?) et celui-ci demande alors une indemnité.
Un cahier des charges est vite rédigé, et la publication de l’adjudication se fait au prône de la messe du dimanche 8 octobre 1693 dans les églises de la ville.


Appel d’offre pour la remise en état de la Monnaie en vue de sa réouverture
Archives municipales de Nantes séries DD 246 et DD 252

Les travaux commencent peu après et il est permis de douter de la prestation car le système de l’adjudication au rabais, en vigueur à l’époque, était loin de garantir la qualité de leur exécution. Vu leur ampleur, l’ensemble des travaux prévus n’a pu être réalisé en deux ou trois mois. Aussi, est-on surpris que la fabrication des monnaies ait débuté avant la fin de cette année 1693. Comment des louis d’or et des écus d’argent ont-ils pu être frappés au beau milieu du chantier de rénovation du bâtiment !? En effet, les registres de fabrication rapportent la frappe de louis d’or aux 4 L sur flans réformés et surtout 58 7524 écus aux palmes, certains sur flans neufs, mais bien sûr essentiellement sur flans réformés, avec un nombre indéterminé de demi-écus.


Louis aux 4 L et demi-écu aux palmes frappés à Nantes fin 1693
Ils sont dépourvus des différents du maître et du graveur

Y eut-il des interruptions de travaux pour permettre les frappes et leurs contrôles dans des conditions acceptables ? Comment ouvriers en bâtiment et ouvriers monétaires ont-ils pu cohabiter durant les mois d’hiver 1693-1694 ? On a vraiment de la peine à imaginer les maçons, charpentiers, ferronniers et autres couvreurs circuler parmi les monnayeurs, ajusteurs et tailleuresses affairés à transformer les matières d’or et d’argent en espèces sonnantes et trébuchantes…

De ces pièces, qui ont pourtant bien été frappées, on ne connaît aujourd’hui que de très rares spécimens : un exemplaire du louis, un autre du demi-louis, un écu aurait été vu, ainsi que deux demi-écus. Toutes ces monnaies sont frappées sur des flans réformés, d’anciens louis à l’écu pour l’or et des écus aux huit L pour l’argent.
L’examen détaillé de tous ces rares exemplaires fait apparaître l’absence systématique du différent du graveur et surtout de celui du maître d’atelier Bernard Lamolère qui avait pourtant pris son poste dès le 1er septembre 16935. Celui-ci avait pris pour différent une moucheture d’hermine qui devait être placée au début de la légende de l’avers sur toutes les pièces frappées sous son autorité, qu’elles fussent en or ou en argent. Or, cette marque n’apparaît sur les monnaies nantaises qu’à partir de l’année suivante et encore a-t-on rencontré un demi-louis et un demi-écu millésimés 1694 ne figurant toujours pas le différent de Bernard Lamolère. S’agirait-il tout simplement d’hybrides frappés avec un coin d’avers gravé en 1693 ? Probablement. Mais, quoiqu’il en soit, cela induit que le différent du maître n’a été apposé sur les pièces que plusieurs semaines après le début de l’année 1694, soit des mois après la nomination de celui-ci.


Demi-louis aux 4 L et demi-écu aux palmes frappés à Nantes début 1694
Ils sont dépourvus des différents du maître et du graveur

Force est de constater qu’il y a eu une longue latence entre la nomination de Bernard Lamolère comme maître de la Monnaie de Nantes et l’apparition de sa marque de contrôle sur les pièces. Cette latence ne peut être due qu’au délai de validation et d’enregistrement de cette marque par la Cour des monnaies. D’évidence, on n’a pas attendu cette validation pour faire graver les premiers coins et s’en servir tout de suite afin de relancer au plus vite la frappe monétaire nantaise, même si les pièces ainsi produites se trouvaient dépourvues des marques de contrôle, pourtant obligatoires habituellement. L’ajout du différent de Bernard Lamolère dut donc attendre le renouvellement des coins d’avers.
Ce détail souligne encore la précipitation avec laquelle on a rouvert la Monnaie de Nantes. Il faut dire que la Couronne était alors aux abois, enlisée dans la « guerre de la Ligue d’Augsbourg », conflit qui l’opposait au reste de l’Europe depuis 1688. Avec ou sans marque de contrôle du maître d’atelier, il fallait à tout prix que de nouvelles pièces d’or et d’argent viennent au plus vite soutenir l’effort de guerre. D’ailleurs, par son édit du 16 janvier 1691, le roi lui-même avait officiellement renoncé au contrôle de la qualité des pièces frappées sur des flans réformés en supprimant pour elles la longue procédure de mise en boîte. À compter de cette date, en effet, plus aucun échantillon n’était analysé et vérifié par la Cour des monnaies6. Dans un tel contexte, le différent du maître d’atelier était tout simplement devenu un menu détail, presque une coquetterie, dont on pouvait sans peine se passer… En matière monétaire, comme ailleurs, nécessité fait loi !


Demi-écu et douzième d’écu aux palmes frappés à Nantes en 1694
Ils portent bien les différents de maître et de graveur


Différent de Bernard Lamolère,
maître de la Monnaie de Nantes de septembre 1693 à juillet 1697

Gildas SALAÜN


1 Henri Vié, « L’ancien Hôtel de la Monnaie de Nantes de sa réouverture en 1693 à sa démolition en 1820 », p. 84-91 in Gildas Salaün (dir.), L’atelier monétaire de Nantes sous l’Ancien Régime, XVIIe - XVIIIe siècles, actes du colloque édités par l’Association Numismatique Armoricaine, Nantes, 2003. Infos sur http://ana.france.free.fr/ARMOR-NUMIS-ATELIER%20MONETAIRE%20DE%20NANTES.html

2 Archives de la Monnaie de Paris : ms. 4° 95, f° 201r°-202v°.

3 Officier chargé de vérifier la qualité des pièces de monnaies frappées par l’atelier monétaire avant leur mise en circulation. Dans le cas présent, on se demande ce qu’il pouvait bien contrôler… ?

4 Chiffre extrait de Frédéric Droulers, Répertoire général des monnaies de Louis XIII à Louis XVI (1610-1792), Paris, 2012.

5 Archives départementales de Loire-Atlantique B 5291. Information communiquée par Arnaud Clairand, que je remercie vivement.

6 Jérôme Jambu, « Inventer une mutation monétaire : la première réformation, 1689-1693 », Revue Numismatique, 2015, p. 39-86 ; détail p. 55.

 


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